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Pourquoi t'es devenu de gauche et surtout comment ?
(Après écriture, un petit avant propos : c'est une réponse longue et décousue, mais je ne sais pas vraiment comment la remanier. Du coup je la poste telle quelle, mais elle mériterait d'être mieux travaillée.)
De gauche, je pense que je l'ai toujours un peu été. Je suis issu d'une famille ouvrière, et même si on ne parlait pas politique à la maison, les valeurs qu'on m'a inculqué sont celles de la culture ouvrière.
Pourtant, malgré cela, étant plus jeune (disons du milieu du collège vers le début de Terminale) j'ai été séduit, il faut le dire, par l'idée de la patrie, du succès individuel, de l'homme providentiel, et même de la supériorité du genre masculin sur le genre féminin "naturellement", etc. bref par grosso modo toute la pensée dominante, qui semblait si évidente et si pleine de bon sens.
Ayant fait un bac scientifique, j'étais normalement doté d'un esprit critique très fonctionnel. Durant mes études supérieures, je l'exerçait un peu sur tout et n'importe quoi... enfin surtout n'importe quoi, car je n'avais pas encore compris que l'idéologie ne peut être soumise à l'esprit critique.
Ce que j'appelle idéologie ici, ce sont les "briques essentielles" qui constituent le système de valeurs que tu défends et que tu n'est pas prêt⋅e à remettre en cause. Tout le monde a une idéologie, et ça je le comprendrais que bien plus tard.
Jusqu'à la fin de mes études supérieures, on ne peut pas dire que je suis "devenu" de gauche, il y a plein de trucs que je ne remets pas en question, que je défends mollement plus par principe que par réelle compréhension des enjeux, etc. Bref, je suis socialiste quoi, réformiste, "gauche molle et académique", rien de bien combatif.
C'est pas l'éducation populaire que tout va se mettre en branle, et ça va aller très vite. Vers le milieu de 2008 je pense, je tombe sur les conférences (gesticulées ou non) de Franck Lepage et Benjamin Bayart. Et c'est là que je comprends que l'esprit critique, c'est bien, mais que ça fait pas tout et que surtout ça ne défend rien.
Petit à petit je me pose la question de ce que sont mes "valeurs fondamentales", ce qui me révolte, ce qui m'est intolérable. Très vite, la notion de justice sociale s'impose, car depuis toujours (ou du moins aussi longtemps que je m'en souvienne) l'injustice (flagrante) m'est insupportable, à en pleurer de rage parfois.
Ça va être une des pierres angulaires de ma réflexion et de ma remise en question globale.
Fin 2009, ma mère décède brutalement, à un an de la retraite. J'ai même pas 25 ans. Je suis incapable d'aller travailler pendant plus de 2 mois. Pour exorciser quelques démons, sans doute, je m'intéresse aux morts au travail, doté de mon esprit critique et de la méthodologie scientifique. J'y apprends que l'âge de la retraite n'est pas déterminé pour le bien-être des personnes, mais par pur esprit productiviste. S'il a été mis à 60 ans, c'est parce que lorsqu'on l'a revu, en gros les ouvrier⋅e⋅s mourraient à 60 ans.
À partir de là, je détricote tout. Je relis Marx, Bakounine, Proudhon, et d'autres, avec moins de distance mais plus d'intérêt : je ne le lis plus pour pouvoir les citer et "briller en société", mais pour comprendre le monde, parce que les explications officielles ne marchent pas. Elles n'ont en réalité jamais marché, mais j'étais plus prompt à démonter ce qui n'allait pas dans mon sens. Et je les relis parce que ce que j'avais lu, en l'écartant rapidement convaincu que c'était du passé, se rappelait à moi et résonnait.
Les mots de ces bouquins sont vieillots mais ça marche. D'ailleurs, ça marche toujours comme il le décrit, à quelques adaptations près. Finalement, rien n'a changé, si ce n'est que... Beh on n'a plus conscience de tout ça. Moi le premier, je n'ai pas conscience de tout ça. Et heureusement qu'il y avait cette culture "dormante" pour prendre le relai. C'est vital. C'est pour ça que ce n'est jamais perdu de publier, de diffuser, de discuter.
En fait, c'est comme ça que je suis devenu de gauche : parce que, d'un coup, le monde merveilleux du capitalisme n'avait en fait rien à m'offrir et tout à me prendre. Et que je n'en avais pas conscience. À un moment, malgré moi et tragiquement, j'ai compris que je me faisais avoir. À un moment, malgré moi, j'ai été impliqué. C'est peut-être un peu égoïste de dire ça comme ça, j'aimerai bien pouvoir dire "c'est parce que je ne supporte pas la souffrance d'autrui", etc. Mais ça, c'est vrai aujourd'hui. À l'époque moins. Je ne dis pas que j'y étais hermétique, évidemment, mais on trouve toujours des stratagèmes pour s'en protéger, et puis "qu'est-ce que je peux y faire, moi tout seul ?".
Bref, à un moment, je me suis mis à réfléchir en dehors du cadre qu'on me proposait, qu'on m'imposait. Et encore, moi je suis entier, je vais bien. Il y a des centaines, des milliers de personnes qui, en France, en prennent conscience au moment où elles sont meurtries dans leurs chairs. Puis jetées, oubliées, mises au ban.
Pourquoi je suis devenu de gauche ? Pour la Justice. Pour la Paix. Pour l'Amour. Pour la vie de tout le monde.
Comment ma pensée a évolué depuis que je suis "devenu de gauche", ça c'est une autre question :)
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